Le projet intitulé « la Maison de la Tourbière » nous laisserait-il penser qu’il n’existe qu’une seule et unique tourbière ? Évidemment que non, il fait simplement référence à l’unique tourbière des Ponts-de-Martel. Néanmoins, bien que celle-ci soit l’une des plus grandes de Suisse, en compétition directe avec le haut-marais du Rothenthurm dans le canton de Schwyz, la tourbière des Ponts-de-Martel fait partie d’une famille extrêmement vaste et complète à l’échelle mondiale : les zones humides.
Crédit photo : Sébastien Tschanz
Les zones humides sont des régions géographiques situées sur presque tous les continents, dans lesquelles l’eau est extrêmement présente et justement vitale à l’écosystème en question. Élaborer une typologie des différentes zones humides mondiales serait un bien trop ambitieux projet pour ce simple texte ; leurs formes, leurs fonctionnements et leurs répartition géographiques sont si divers qu’elles regroupent sous leur bannière tant les forêts alluviales, que les lagunes, les méandres, les rizières ou encore les tourbières. Dans tous les cas, les zones humides recensent une biodiversité luxuriante, et ce constat pourrait, à lui seul constituer une justification de leur protection actuelle.
Les tourbières sont ainsi à l’image de cette grande famille des zones humides : rares, extrêmement riches en biodiversité et méritant toute notre attention, que ce soit pour des raisons esthétiques et patrimoniales, utilitaires et économiques, ou encore liées à l’écologie et à la lutte contre les changements climatiques. Une tourbière est caractérisée par la présence de sphaignes, un type de mousse responsable de la formation de la tourbe. Ces sphaignes, agissant comme de véritables éponges capables de retenir une bonne partie des excédents d’eau lors de fortes chutes de pluie, comme de diffuser progressivement leur eau dans tout le milieu souterrain lors de périodes plus arides, permettent d’assurer une présence hydrique constante dans le milieu. Cette humidité permanente permettra alors d’éviter la décomposition de la matière végétale, dont l’accumulation donnera naissance à la fameuse tourbe.
L’eau est l’essence même d’une tourbière ; c’est la raison pour laquelle des tourbières peuvent se situer presque partout sur terre. Si un climat est chaud, alors la pluviométrie devra être importante pour la pérennisation de la tourbière, tandis qu’un climat plus froid, caractérisé par une moindre évapotranspiration, se contentera de peu de précipitations. Dès lors, il est possible de séparer la répartition des tourbières dans le monde en deux catégories : les tourbières des zones équatoriales et tropicales humides (entre autres en Amazonie, en Malaisie mais aussi dans le bassin congolais, là où la plus grande tourbière du monde a été découverte il y a quelques années seulement) qui constituent le 10% de toutes les surfaces de tourbières mondiales, et les tourbières des latitudes moyennes et hautes sous un climat tempéré ou subarctique peu continental, qui représentent 90% de toutes les tourbières. C’est d’ailleurs logiquement dans cette deuxième catégorie géographique que l’on retrouve les deux pays recensant le plus de tourbières, la Russie et le Canada. De manière globale, aujourd’hui, les estimations concernant le pourcentage des terres émergées recouvertes par des tourbières oscillent entre 3 et 5.
Malgré ce très faible pourcentage, les tourbières sont un stabilisateur du climat mondial ; les changements climatiques auxquels l’Homme et la nature doivent aujourd’hui faire face proviennent du surplus des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique et de la saturation des puits naturels de carbone. Il est donc vital, pour contenir le réchauffement climatique dans une limite acceptable, de trouver des solutions pour stocker l’excédent de carbone. Et justement, les tourbières possèdent ce fabuleux pouvoir. En l’occurrence, les tourbières stockent 1.4 Gt de carbone, c’est-à-dire environ ¾ de tout le carbone atmosphérique. Cette fonction de stockage carbonique est encore plus importante dans les tourbières boréales et arctiques qui peuvent contenir jusqu’à plus de 98% du carbone.
Crédit photo : Sébastien Tschanz
Néanmoins, pour qu’une tourbière puisse efficacement stocker le carbone, elle doit être saine, bien humide et son fonctionnement doit être le plus naturel possible, sans intervention humaine néfaste. Dès lors, une tourbière perturbée par diverses activités humaines (piétinements, exploitation de la tourbe, drainage, asséchement, etc.) aurait alors l’effet complètement opposé : tout le carbone stocké dans le milieu serait alors rejeté dans l’atmosphère. Ce dernier constat semble guider notre bon sens : protéger et régénérer une tourbière revient à augmenter la biodiversité dans l’écosystème en question et à freiner les dérèglements climatiques, alors que l’exploitation et les perturbations d’une tourbière provoquent des effets totalement opposés. Pour toute l’équipe de La Maison de la Tourbière, c’est le bon sens qui prime et qui procure l’énergie nécessaire à l’avancée du projet.